PRINCETON, N. J
Division
Section
Number
V
DESCRIPTION
GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE
DE LA PALESTINE.
OUVRAGES DU MEME AUTEUR :
Description de l’ile de Patmos et de l'ile de Samos . accompagnée (le deux Cartes. Un volume in-8°. Chez Pedone-Laeriel, libraire, rue Soufflot, i3.
Étude sur l’ile de Rhodes, accompagnée d’une Carte. Un volume in-8°. Chez le même.
De tira Palæstinse a promontorio Carmelo usque ad urhcin Joppen perti¬ nente, ouvrage accompagné d’une Carte. Un volume in-8°. Chez le même.
Voyage archéologique dans la Régence de Tunis, avec une Carte. Deux volumes grand in-8°. Chez Plon, imprimeur-éditeur, 8, rue Garancière.
Description géographique , historique et archéologique de la Palestine , accom¬ pagnée de Cartes détaillées. — Première partie, Judée. Trois volumes grand in-8°. Chez Chàllamel ainé, libraire, 5, rue Jacob.
Description géographique, historique et archéologique de la Palestine, accom¬ pagnée de Cartes détaillées. — Deuxième partie, Samarie. Deux volumes grand in-8°. Chez
LE MÊME.
PARIS.
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR,
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE,
DE L’ÉCOLE DES LANGUES ORIENTALES VIVANTES, DE LA SOCIETE DE L’ORIENT LATIN, ETC.
‘28, RUE BONAPARTE.
Tous droits réservés.
DESCRI PT I ON
GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE [ET ARCHÉOLOGIQUE
DE LA PALESTINE,
ACCOMPAGNÉE DE CARTES DETAILLEES,
PAR M. V. GUÉRIN,
AGRÉGÉ ET DOCTEUR ES LETTRES,
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS ET DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE FRANCE,
CHARGÉ D’UNE MISSION SCIENTIFIQUE.
TROISIEME PARTIE. — GALILEE.
TOME I.
PARIS.
IMPRIMÉ PAR AUTORISATION DU GOUVERNEMENT
À L’IMPRIMERIE NATIONALE.
M DGCC LXXX.
Digitized by the Internet Archive in 2019 with funding from Princeton Theological Seminary Library
https://archive.org/details/descriptiongeogr06guer
DESCRIPTION
I
GÉOGRAPHIQUE, HISTORIQUE ET ARCHÉOLOGIQUE
DE LA PALESTINE.
DESCRIPTION DE LA GALILÉE.
CHAPITRE PREMIER.
DE MARSEILLE À SMYRNE . - SMYRNE. - DE SMYRNE À RHODES. - RHODES.
- DE RHODES À MERSINA. - MERSINA. - RUINES DE POMPEIOPOLIS.
- ALEXANDRETTE. - LATAKIEII. - DE LATAKIEH À TRIPOLI. - TRI¬ POLI. - BEYROUTH. - JAFFA.
DE MARSEILLE À SMYRNE.
.le venais d’achever la publication de mon travail sur la Samarie* qui forme la seconde partie de mon ouvrage intitulé Description géographique, historique et archéologique de la Palestine, lorsque M. Wallon, alors ministre de l’instruction publique, daigna me confier une nouvelle mission pour cette contrée célèbre, afin d’y explorer en détail la basse et la haute Galilée, et de compléter ainsi les recherches crue depuis de longues années déjà j’avais entreprises dans la Terre sainte.
Le mai 187b, je m’embarquai donc à Marseille sur le pa¬ quebot l’Ilissus.
Le 9.0 mai, après avoir successivement touché quelques heures, chemin faisant, le 1 fi à Palerme, le 17 à Messine et le 19 à Syra,
!
2 DESCRIPTION DE LA GALILÉE.
nous jetions l’ancre, vers le soir, au fond de l’innnense golfe de Smyrne.
SMYRNE.
La lune, dans son plein, se levait, en ce moment, derrière le mont Sipyle, et son disque argenté montait lentement dans le ciel, illuminant du doux éclat de ses rayons le golfe entier, les îles qui le parsèment, les hauteurs qui l’encadrent et la grande ville que nous avions devant nous. Jamais cette cité ne m’était apparue si belle, avec les minarets de ses mosquées, les clochers de ses églises, les gigan¬ tesques cyprès qui ombragent ses cimetières, les innombrables lu¬ mières qui scintillaient dans ses maisons et le long de ses principales rues. C’était bien là la reine actuelle de l’Asie Mineure, noncha¬ lamment assise au pied et sur les flancs inférieurs du Pagus, dont le sommet était jadis occupé par son acropole et que couronnent encore maintenant les restes d’une ancienne forteresse. Une atmos¬ phère tiède avait remplacé la brise de la haute mer. On sentait qu’on était sous le ciel de la molle Ionie.
Dans l’impossibilité où je me trouvais, ainsi que tous les autres passagers, de débarquer à l’entrée de la nuit, je me promenai long¬ temps sur le pont du navire, contemplant et reconnaissant tour à tour chacun des points du vaste panorama qui se déroulait autour de moi. Je repassais également dans ma pensée les principaux évé¬ nements qui ont marqué l’histoire de Smyrne. Il n’entre pas dans mon sujet de les résumer tous ici. Qu’il me suffise de dire que cette
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antique colonie d’Ëphèse, jadis plus rapprochée de Bournabat, et située à vingt stades de la ville actuelle, fut ensuite transportée sur les lianes du mont Pagus. Pausanias raconte qu Alexandre, obéissant aux inspirations d’un songe qu’il avait eu sur cette colline, résolut d’y fonder une ville nouvelle. L’oracle de Claros consulté engagea les Smyrnéens à y transférer leurs pénates.
I pi<7(À(x>axpes xelvot xoà TejpaHts avSpes ecrovcat ,
Oi II ajov oî>aj(70i(jt 'znépi'iv îepoïo MéXtjTOs '.
Pausanias, I. Vit, c. v.
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CHAPITRE I. — SMYRNE.
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cr Trois et quatre fois heureux seront ceux qui iront habiter le Pagus, au delà du Mêles sacré, v
Ainsi créée par le conquérant macédonien, agrandie et embellie par les rois grecs, ses successeurs, puis par les Romains, quand l’Asie tomba en leur pouvoir, la nouvelle Smyrne attira et absorba dans son sein la plus grande partie de la population de l’ancienne, et bientôt elle rivalisa en beauté avec les villes les plus remar¬ quables du monde. Strabon1 vante la régularité et le plan bien or¬ donné de ses rues, qui se coupaient à angle droit, et qui étaient pavées de dalles. Elle était ornée de portiques, de temples et d’autres monuments somptueux. Homère, qui passait pour être né sur les bords du Mêlés, dans une grotte solitaire, y était vénéré dans un sanctuaire particulier, comme le véritable dieu de la poésie. Couvrant le Pagus, elle s’étendait aussi et principalement dans la plaine autour de son port, dont une grosse chaîne fermait l’entrée. Plusieurs fois ébranlée par de violents tremblements de terre, elle fut successivement restaurée par différents empereurs romains, qui se plurent à la décorer. A l’avènement du christianisme, elle devint le siège d’un évêché; et saint Poiycarpe, disciple de saint Jean l’Évangéliste, fut son premier évêque et l’un de ses plus célèbres martyrs. Les empereurs de Byzance en disputèrent longtemps la possession aux Turcs et réparèrent ses fortifications et le château de son acropole. Concédée par un traité aux Génois, qui y établirent un de leurs comptoirs maritimes, elle passa ensuite sous la domina¬ tion des chevaliers de Rhodes, qui, pendant cinquante-sept ans, la gardèrent, malgré les efforts des Osmanlis pour la reprendre. En i ô o 2 , le fameux Tamerlan s’en empara, après avoir fait combler son port, par où elle pouvait se ravitailler, et la livra en proie à ses Tartares, qui y promenèrent partout le fer et le feu. Reconquise par les Turcs, puis de nouveau attaquée et prise par les chevaliers de Rhodes, qui furent contraints de l’abandoner bientôt, elle fut, vers la lin du xvc siècle, dévastée par les Vénitiens, qui ne la gar-
Slrnbon , I. XIV, p. 646.
h DESCRIPTION DE LA GALILÉE.
dèrent. pas non plus. Depuis lors, elle n’a pas cessé d’appartenir à l’empire ottoman.
An milieu de tant de vicissitudes et malgré tant de désastres, Smyrne, grâce à son heureuse position et aux avantages de son golfe, est toujours restée l’une des villes les plus importantes de l’Asie Mineure, et aujourd’hui elle compte environ 170,000 habitants, d’autres disent 180,000, qui se décomposent ainsi : 1 5, 000 Francs, cath ol i qu es 0 u pr 0 tes ta nts ; 8 0 , 0 o 0 Gr e es et A r méniens , 1 0 , o 0 0 J u ifs , et tous les autres Musulmans.
Le 2 1 , dès la pointe du jour, je parcourais les différents quartiers de la ville, où je remarquai que de notables améliorations avaient été pratiquées depuis quelques années. Néanmoins, de même que Constantinople offre de loin aux regards un spectacle incomparable et perd singulièrement à être vue de trop près, ainsi Smyrne, dont l’aspect général est si séduisant du milieu de son golfe, ne conserve plus qu’une faible partie de son charme dès que Ton y aborde et que l’on commence à la considérer en détail. De tous cotés, en effet, l’incurie musulmane éclate à chaque pas, et auprès de belles maisons européennes, d’autres tombant en ruine ou d’ignobles échoppes et la malpropreté inhérente en quelque sorte à la bar¬ barie vous rappellent que vous êtes dans une ville turque et sur une terre où règne l’islamisme. Le quartier franc est le mieux bâti et le plus animé. Là sont les consulats et les plus jolies habitations. Quelques-unes renferment intérieurement de vastes cours, ombra¬ gées par de beaux arbres. La rue des Roses, pavée avec de larges dalles et bordée de maisons élégantes, est la plus remarquable de toutes.
Les différents bazars ont chacun un genre de commerce qui leur est affecté. Dans l’un se vendent les babouches; dans un autre, les étoffes de soie. Celui-ci étale les riches tapis de l’Anatolie et de la Perse; celui-là, les indiennes et les cotonnades. Ainsi en est-il pour les autres marchandises et denrées. Souvent, dans des boutiques en bois, de misérable apparence, sont entassés des objets de grande valeur. Là, dans un petit coin, le marchand lui-même peut à peine
CHAPITRE I. — SM Y R NE.
quelquefois trouver place, silencieusement accroupi, s’il est Turc, et fumant avec une indolente gravité son tchibouk ou son narghilé, en attendant que le client se présente; plus vif, au contraire, plus empressé et plus loquace, s’il est Arménien, Grec ou Juif. Presque tous surfont beaucoup, principalement les Grecs et les Juifs.
Parmi les édifices catholiques, je signalerai d’abord la cathédrale, qui est nouvellement achevée. Elle a trois nefs, de style simple, et bien tenues. M§r Spaccapietra , qui l’a fait construire avec les dons qu’il a pu recueillir, soit à Smyrne, soit en Europe, est en même temps l’archevêque latin de la ville et le vicaire apostolique de l’Asie Mineure. La résidence de ce savant et vénéré prélat est en¬ clavée dans le couvent des Pères Franciscains, et tout y est d’une simplicité vraiment évangélique. L’église de ces religieux est grande et n’a qu’une large nef voûtée, avec trois autels de chaque côté. C’est l’une des paroisses catholiques; elle est sous le vocable de sainte Marie. La cour qui la précède est pavée de dalles funéraires. Quant au couvent, il compte huit pères et quatre frères.
La deuxième paroisse catholique est desservie par des Capucins. Elle a trois nefs. On y remarque une belle statue de la Vierge, en argent. Des dalles funéraires forment le pavé de cette église et couvrent la cour qui y est attenante.
L’établissement des sœurs de Saint-Vincent de Paul est très con¬ sidérable. Il a été fondé, il y a une quarantaine d’années, par la sœur Ginoux, femme éminente par le cœur et par l’intelligence, qui l’a toujours dirigé jusqu’à sa mort, arrivée depuis peu. Le pen¬ sionnat, les classes d’externes, l’orphelinat et l’ouvroir méritent d’être visités, à cause de l’ordre parfait qui y règne. L’éducation chrétienne (pii y est donnée aux élèves est la même pour toutes. Quant à l’instruction qui leur est distribuée, elle varie suivant la position sociale de leurs familles et l’avenir probable qui les attend elles-mêmes; mais toutes, riches ou pauvres, sont formées dès l’ en- lance aux divers soins du ménage. Cet établissement comprend également dans un batiment voisin un hôpital et un dispensaire,
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DESCRIPTION DE LA GALILÉE.
où chaque jour trois cenls malades environ viennent demander des soins, des conseils ou des médicaments. Je n’oublierai pas non plus une salle d’asile où les Sœurs reçoivent un assez grand nombre de petits garçons, jusqu’à ce qu’ils soient en âge d’assister aux leçons des Frères.
Le collège de la Propagande, tenu par les Lazaristes, et l’école des frères de la Doctrine chrétienne sont de même très fréquentés, et les élèves qui y affluent seraient encore plus nombreux, si les salles destinées à les contenir étaient plus vastes.
Ces divers établissements, tous français, ne sauraient être trop puissamment encouragés et patronnés par nous; car, en même temps qu’ils contribuent à transmettre d’âge en âge et à faire luire sur l’Orient dégénéré le flambeau toujours allumé du catholicisme, ils perpétuent notre langue, nos bienfaits et l’amour du nom fran¬ çais, sur cette terre qu’occupe la barbarie, mais que se disputent les influences rivales des grandes nations de l’Europe.
Les Grecs, qui composent à eux seuls la moitié de la population totale de Smyrne, sont pareillement sous la juridiction spirituelle d’un archevêque schismatique. Ils possèdent plusieurs paroisses et une cathédrale que décorent intérieurement quelques belles peintures et au dehors un élégant campanile. Leurs écoles sont bien suivies.
En sortant de la ville basse, où tout le commerce est concentré, et en gravissant des rues et des ruelles souvent très rapides et en escalier, on est frappé d’un contraste soudain. A la vie et à l’agita¬ tion d’une foule sans cesse renaissante ont succédé le silence et la solitude. Plus de balcons aux maisons, comme dans la rue Franque ou dans celle des Roses, où les femmes aiment à se montrer, mais des croisées grillées et des espèces de jalousies qui ne s’ouvrent presque jamais. C’est le quartier réservé aux Musulmans.
En montant encore davantage, on foule sur les pentes du Pagus l’emplacement et les traces de plus en plus etfacées de la Smyrne d’Alexandre. Il n’en subsiste plus que des vestiges, qui disparais¬ sent de jour en jour. Cependant, on y distingue encore ceux d’un
CHAPITRE I.
SMYRNE.
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théâtre et, plus loin, la circonférence elliptique d’un vaste stade, dont tous les gradins ont été enlevés, mais dont la forme oblongue de l’arène et quelques débris de voûtes, de date romaine probable¬ ment, sont encore reconnaissables. C’est dans ce stade que saint Polycarpe couronna par le martyre son glorieux épiscopat.
Une église consacrée à sa mémoire avait été érigée, à une faible distance de là, par les premiers chrétiens. Renversée de fond en comble depuis longtemps, il en reste à peine maintenant quelques cubes de mosaïque épars au milieu de plusieurs tas confus de pierres mutilées.
Une fois parvenu sur le sommet du Pagus, on pénètre dans l’en¬ ceinte d’une grande forteresse, qui était en partie debout quand je la vis pour la première fois, en i85a, et l’on remarquait dans le parement des tours et des courtines un très grand nombre de beaux blocs antiques. Cette enceinte, dont les fondations peut-être ont été jetées par les rois grecs successeurs d’Alexandre, paraît avoir été relevée par les empereurs de Byzance; elle a dû subir ensuite des réparations plus récentes de la part des Génois, des chevaliers de Rhodes et des Turcs. De vastes citernes bien construites s’étendaient sous la plate-forme de ses cours et pouvaient fournir aux besoins d’une nombreuse garnison. Depuis longtemps hors d’usage, elles sont aujourd’hui à moitié comblées. Quant aux pierres de taille qui revêtaient ses remparts, elles sont incessamment enlevées et transportées dans la ville pour servir de matériaux de construction. Bientôt, si cette démolition continue, il 11e restera plus que le blo¬ cage intérieur de cette immense bâtisse. En montant sur l’une des tours, je considérai de là avec attention la cité entière, qui était à mes pieds. Je distinguais tousses monuments, ses divers quartiers, ses nécropoles, son nouveau port, son magnifique golfe. Je suivais du regard les nombreux replis du Mêlés, humble ruisseau de si poétique mémoire. Plus loin, au nord et au sud, se déroulaient les vallées où serpentent l’Hermus et le Caystrc, et se montraient les montagnes aux formes si variées de cette belle Ionie, qui se glorifiait jadis de tant de villes, autrefois florissantes et maintenant détruites,
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DESCRIPTION DE LA GALILÉE.
telles que Ciazomène, Érythrées, Téos, Lébédos, Métropolis, Claros, Notion, Phygela, Goloplion, Panionion, et cette Ephèse, l’une des merveilles de 1 Asie, dont j’avais, il y a vingt-trois ans, étudié les ruines et dont on s’efforce, de nos jours, d’exhumer de nouveaux débris. A l’est, l’horizon était borné par les monts de la Lydie, qui dérobaient à ma vue l’emplacement de Sardes. J’évo¬ quais dans mon esprit, devant un tel spectacle, éclairé par un soleil resplendissant sous la voûte azurée d’un ciel sans nuages, tous les souvenirs que l’histoire ou la poésie ont attachés à ces lieux cé¬ lèbres. C’est en effet à travers ces souvenirs qu’il faut les contem¬ pler. Autrement, on serait parfois cruellement attristé, soit par le manque de culture d’une grande partie de cette contrée, naturel¬ lement si fertile, soit par la transformation de villes importantes en de misérables villages, soit même par leur anéantissement presque complet ou la disparition de leurs plus remarquables débris sous des amas de décombres, des marais fangeux ou des four rés de broussailles.
En redescendant du Pagus, je me dirigeai vers le pont des Ca¬ ravanes, ainsi nommé à cause des longues liles de chameaux qui le traversent continuellement, et qui apportent à Smyrne des den¬ rées et des marchandises de toutes sortes. Il est jeté sur une petite rivière que certains voyageurs ont prise pour le Mêlés. Des cafés y attirent sous de beaux ombrages de nombreux oisifs.
A une demi-lieue de là sont les Bains de Diane. Ils consistent en un vaste bassin entouré de roseaux et alimenté par plusieurs sources. Autrefois s’élevait sur ses bords un temple consacré à Diane. On y voyait encore, il y a une trentaine d’années, plusieurs bases de colonnes, qui ont été enlevées et placées ailleurs. De ce bassin sort un ruisseau limpide, large de trois mètres ou plus, et dont l’eau est d’une transparence extraordinaire. Si elle a jadis eu l’honneur, comme le veut la Fable, d’avoir baigné le corps d’une déesse, elle a été utilisée, de nos jours, cl’une manière plus pro¬ saïque, pour les divers besoins d’une fabrique de papier; puis ce ruisseau poursuit son cours jusqu'à la mer, où il se jette. On
CHAPITRE I. — DE SMYRNE A RHODES. 9
s’accorde à y voir le Mêlés , bien que d’autres, comme je l’ai dit, donnent ce même nom au ruisseau qui coule sous le pont des Cara¬ vanes.
La grotte d’Homère est à quelques minutes des Bains de Diane, sur une colline doucement inclinée et couverte d’énormes figuiers et de vieux oliviers. Au fond est une source qui disparaît sous terre. Une tradition place en ce lieu la naissance d’Homère, évé¬ nement dont six autres endroits se disputent la gloire. Un petit sanctuaire avait été érigé près de cette grotte à la mémoire du grand poète divinisé.
A une heure de marche des Bains de Diane, en se rapprochant du Sipvle, on arrive au village de Bournabat, par un chemin pou¬ dreux, que bordent, au milieu de riches campagnes, des haies de myrtes et d’agnus-castus. Bournabat a une population de plusieurs milliers d’habitants, Grecs, Latins et Turcs. De gracieuses villas y sont environnées de jardins délicieux, plantés de citronniers, d’oran¬ gers, de figuiers, et où la vigne court en longs berceaux; souvent aussi elle s’enguirlande aux arbres. Çà et là , de hauts cyprès dressent leur tête altière, et l’on entend partout le gémissement de la co¬ lombe et de la tourterelle qui roucoulent sous d’épais ombrages.
Les sœurs de la Charité ont à Bournabat un établissement de date assez récente. Il renferme un certain nombre d’orphelines, et reçoit en outre des demi-pensionnaires et des externes. Les cahiers d’une dizaine d’élèves m’ont été montrés par la bonne religieuse qui me faisait les honneurs de la maison, et j’ai pu admirer dans cet établis¬ sement naissant comme dans le grand de Smyrne de véritables modèles de calligraphie. Une sœur fait également l’école à quelques pelits garçons abandonnés, qui sont ainsi retirés du vagabondage.
Le soir, j’étais de retour à bord de l’Ilissus, qui , vers neuf heures, poursuivit sa route vers Rhodes.
DE SMYRNE A RHODES.
Le 22 mai, au lever de l’aurore, nous commencions à longer
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DESCRIPTION DE LA GALILEE.
les rivages de Chio, et les différents villages ainsi que la capitale de cette belle île fuyaient successivement derrière nous.
A neul heures, nous avions fini de traverser le golfe de Scala Nova, au fond duquel j’apercevais de loin l’emplacement de l’an¬ tique Eplièse, près de l’embouchure du Caystre; et nous nous avancions entre Nikaria à l’ouest et Samos à l’est : Nikaria, jadis Icaros ou Icaria, île aux flancs abrupts, à l’aspect sauvage et peu peuplée; Samos, qui a conservé sans altération son ancien nom et qui compte encore une quarantaine de villages, dont quelques-uns sont considérables.
J’ai exploré attentivement cette île en 1 853. Je reporte donc le lecteur qui désirerait la connaître à l’ouvrage où sont consignés les résultats de mes recherches dans la plus importante desSporades
A onze heures, au delà des îlots Arki, l’île de Patmos se dé¬ couvrait à nos regards vers l’ouest-sud-ouest, et je saluai avec respect ce rocher célèbre, immortalisé par le séjour de saint Jean l’Evangéliste, qui y fut jadis exilé et y composa son Apocalypse. Le couvent de Saint-Christodule, qui couronne l’un des points culminants de cette île, renferme des manuscrits grecs précieux, sur lesquels j’ai, en 1 8 5 2 , attiré par une courte notice l’attention des savants, n’ayant pu moi-même jeter sur ces manuscrits qu’un coup d’œil rapide et dans des circonstances peu favorables, pen¬ dant les quelques semaines que je passai dans ce couvent. Depuis, le docte Grec M. Sakkelion, qui, en qualité de coreligionnaire et ensuite de bibliothécaire du monastère, a pu les étudier à loisir, en a donné un catalogue beaucoup plus complet et plus détaillé que le mien.
Plus au sud, nous côtoyâmes bientôt tour à tour les îles de Léros, de Lipsia et de Calymna, aujourd’hui Léro, Lipso et Galymno.
A deux heures, le cap Boudroun était à notre gauche. Nous apercevions très distinctement la ville du même nom, jadis si cé-
1 Description des îles de Samos cl de Patmos , accompagnée de deux cartes; 1 vol. iü-8°, chez Durand, libraire, rue Cujas.
CHAPITRE I. — RHODES.
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ièbre sous celui d’Halicarnasse , où résidaient les rois de Carie et où Artémise avait élevé àMausole, son époux, un monument funé¬ raire qui était réputé l’une des sept merveilles du monde, et dont quelques débris ont été retrouvés, il y a peu d’années.
A notre droite, Vile de Cos, patrie d’Hippocrate, étalait à nos yeux ses rivages verdoyants, quelques-uns de ses villages dissé¬ minés ça et là et son chef-lieu, agréablement situé entre la côte et les montagnes, au milieu de jardins plantés d’orangers et de citron¬ niers et de collines couvertes de vignes.
A quatre heures nous passions, au delà du golfe Céramique, devant la presqu’île découpée et montagneuse de Cnide, et non loin des grandes ruines de la ville ainsi appelée, qui possédait dans l’un de ses temples la statue de Vénus, chef-d’œuvre de Praxitèle, que l’on admire maintenant à Florence.
Nisyros, actuellement Nisiro, présentait à notre droite ses flancs rocheux entourés d’écueils et ses montagnes abruptes dont le dé¬ sordre atteste de violentes commotions volcaniques.
Plus au sud s’étendait Tilos, qui offre plusieurs bons mouillages. C’est la patrie des ancêtres de Gélon, tyran de Syracuse.
A l’est, dans le golfe que forment la pointe de Cnide et celle du mont Phœnix, se montrait, au milieu d’ilots et d’écueils, l ile de Symi, qui a deux bons ports et une bourgade habitée par des pêcheurs d’éponges. A l’époque du siège de Troie, cette île envoya son contingent de guerriers au camp des Grecs.
Nirée, dit Homère, amenait de Syme trois navires d’égale grandeur, Nirée, (ils de la nymphe Aglaia et du roi Cliaropus, Nirée, le plus beau des Grecs qui se rendirent à Troie, si l’on excepte le divin Achille, dont la beauté était accom¬ plie; mais Nirée était sans courage et avait peu de troupes l.
RHODES.
A neuf heures et demie du soir, nous arrivâmes à Rhodes, d’où
Iliade, I. Il, v. G71-G7G.
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12 DESCRIPTION DE LA GALILEE.
nous repartîmes à onze heures, sans avoir pu débarquer, à cause de la nuit.
Rhodes est, sans contredit, l’une des îles les plus remarquables de l’Archipel. Elle est située dans l’ancienne mer Garpathienne, dont elle était, en quelque sorte, la reine, bien qu’elle ne lui ait point imposé son nom, car la plupart des des que baignent les eaux de cette mer lui étaient soumises et s’appelaient îles Rhodiennes, sans en excepter celle de Carpathos, à laquelle est échu l’honneur de donner son nom à cette partie de la mer Egée. Sa capitale, jadis l’une des plus belles cités du monde, ses trois autres villes de Lin- dos, de Gamiros et d’Ialysos, ses nombreux villages, la fertilité de son sol et l’étendue de son commerce, tout attestait son antique importance. Au moyen âge encore, elle fut appelée de nouveau à jouer un très grand rôle, lorsqu’elle devint, sous les chevaliers de Saint-Jean, le boulevard de la chrétienté. Tout le monde connaît les fameux sièges que son chef-lieu soutint alors, notamment en 1/180, sous Pierre d’Aubusson, qui eut la double gloire de sau¬ ver cette place et de réparer ensuite tous les désastres qu’elle avait subis, et en 1622, sous Villiers de l’Ile-Adam. Celui-ci, à force d’héroïsme et avec une poignée d’hommes, arrêta longtemps tout l’effort de l’innombrable armée de Soliman, et il aurait pu encore prolonger la défense et contraindre peut-être l’ennemi à la retraite, sans la trahison du chancelier de l’Ordre, André d’Amaral, grand prieur de Castille, qui cacha une partie des poudres et révéla aux Turcs les points faibles des remparts.
E11 1 854, chargé cl’une mission scientifique dans File de Rhodes, que j’explorai tout entière et décrivis ensuite1, je me souviens fort bien d’avoir, dans une conversation avec le pacha, signalé à ce gou¬ verneur, à la suite d’une visite que j’avais faite des magasins sou¬ terrains des remparts, la circonstance particulière de l’enfouissement criminel de ces poudres attribué à d’Amaral dans d’anciennes rela¬ tions contemporaines du siège de 1622.
1 Etude sur l’île de Rhodes, par V. Guérin, accompagnée d'une carte. 1 vol. in-8°; chez Durand, libraire, rue Cujas.
CHAPITRE I.
DE RHODES A MERSINA.
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cc Ce dépôt caché de poudre, disais-je au pacha, n’esl-il point un danger permanent pour la ville, et les gouverneurs turcs, vos prédécesseurs, ont-ils songé à ordonner des recherches à ce sujet, soit dans les souterrains que je viens de parcourir, soit ailleurs? — Dieu seul peut savoir, me répondit-il avec l’insouciance musul¬ mane, où est le dépôt dont vous me parlez. Dieu, du reste, est grand et miséricordieux et y pourvoira, v
Deux ans plus tard, vers le milieu de l’année 1 856 , une effroyable commotion ébranla une partie de la ville de Rhodes. La cathé¬ drale de Saint-Jean, que j’avais vue encore debout, sautait en l’air, écrasant sous ses débris les Turcs qui s’y trouvaient, car depuis i5a3 elle était devenue leur principale mosquée. Le palais des Grands Maîtres, dont j’avais admiré les ruines, était également ren¬ versé de fond en comble, et plusieurs autres édifices étaient profon¬ dément lézardés. Cette violente secousse, comparable à celle d’un tremblement de terre, était due à l’explosion d’un amas considé¬ rable de poudre dont l’existence était inconnue et qui prit feu on ne sait comment. Ne serait-ce point-là le dépôt de poudre enfoui par André d’Amaral et qui, après plus de trois siècles, confirmait, en éclatant, l’infâme trahison de ce chevalier et les témoignages de ses accusateurs ?
Quoi qu’il en soit, j’aurais bien désiré pouvoir jeter un nouveau coup d’œil sur cette ville de Rhodes, dont l’examen m’avait autre¬ fois tant intéressé, et apprécier par moi-même les effets déplorables de la dernière catastrophe de 1 8 5 6 , qui avait anéanti des monu¬ ments remplis de si grands souvenirs. Mais je dus, à mon vif regret, me contenter d’entrevoir de loin, à travers les ombres de la nuit, les tours et les bastions de la place, puis les montagnes de l’île, que nous perdîmes bientôt de vue.
DK RHODES A MERSINA.
Le 2 3 mai, dès les premières lueurs du jour, j’étais sur le pont du navire, interrogeant des yeux l’horizon. A notre droite s’éten-
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DESCRIPTION DE LA GALILÉE.
dait une nier sans limites. A notre gauche, nous longions les rivages de la Lycie. Au delà des montagnes qui les bordent en apparais¬ saient d’autres plus élevées, toutes blanchissantes de neige. Sur ces côtes accidentées, où de nombreux caps dessinent des anses et des ports naturels, florissaient jadis les villes de Telmissus, de Patara, de Myra, d’Antiphellus, et d’autres encore devant lescpielles nous passâmes successivement.
A onze heures, nous franchissions le cap Sacrum, près des pe¬ tites îles dites Chelidoniæ, et nous commencions à traverser l’im¬ mense golfe d’Adalia, au fond duquel s’élève la ville de ce nom, l’antique Attalia. Les côtes s’enfuyaient de plus en plus loin de nous; c’étaient celles de la Pamphylie.
A une heure, elles étaient à peine visibles.
Il était déjà nuit lorsque nous doublâmes le cap Anemurium, qui fait face vers l’est au cap Sacrum et qui termine de ce côté le golfe d’Adalia. Nous étions en ce moment devant la Gilicie, que nous continuâmes à longer tout le reste de la nuit.
Le lendemain matin, 2Ô mai, l’aurore en se levant éclairait, à notre droite, au sud, les montagnes de Tîle de Chypre, que nous apercevions dans le lointain, et, à notre gauche, au nord, celles de la Gilicie, dont nous étions beaucoup plus rapprochés. Derrière celles-ci se montraient les hautes et altières cimes du Taurus, dont les neiges semblaient se perdre dans les nuages.
ÏHERSINA.
A onze heures et demie, nous abordâmes à Mersina. Cette petite ville, toute moderne, sert de comptoir maritime à Tarsous, l’antique Tarsus, patrie de saint Paul, qui en est séparée par un intervalle de plusieurs heures de marche. Elle compte à, 000 habitants, et sa population a presque doublé depuis quelques années. Les catho¬ liques y ont une église, desservie par un Père Carme. A l’époque des chaleurs, cette localité est malsaine, à cause des marécages qui l’avoisinent. Aussi tous les marchands aisés que le commerce y a attirés
CHAPITRE I. — RUINES DE POMPÉIOPOLIS.
et qui y résident s’empressent-ils de quitter leurs boutiques, vers le coucher du soleil, pour gagner les petites maisons de campagne qu’ils se sont bâties sur les hauteurs environnantes.
RUINES DE POMPEIOPOLIS.
Après avoir parcouru rapidement quelques-unes des principales rues de Mcrsina, je me hâtai de louer un cheval pour aller explo¬ rer les ruines de Pompéiopoîis, situées à 8 kilomètres de distance vers l’ouest.
A deux heures, je foulais les débris de cette ville, l’antique Soli, jadis l’une des plus importantes cités de la Gilicie. Strabon1 nous apprend qu’elle avait été fondée par une colonie cTAchéens et par des Rhodiens venus de Lindos. Ses habitants passaient pour avoir un langage incorrect, et de là était venu le proverbe de croXotxt&iv, refaire un solécismes, pour dire parler contrairement aux règles de la grammaire. Pompée agrandit ensuite cette ville et en augmenta la population, en y fixant ceux des pirates qu’il avait épargnés. C’est alors qu’il changea le nom de Soli en celui de Pompéiopoîis par l’imposition du sien propre. Parmi les personnages célèbres nés en cet endroit, on cite Cbrysippe, philosophe stoïcien, Pliilé- mon, poète comique, et Aratus, l’auteur du poème des Phénomènes.
Cette ville, autrefois considérable, est depuis longtemps com¬ plètement déserte, et ses ruines sont en partie ensevelies sous d’é¬ paisses broussailles, composées de myrtes, de lentisques et d’ar¬ bousiers. Le mur qui l’environnait était bâti en pierres de taille; il est presque entièrement démoli, et on en fouille actuellement les fondations pour transporter à Mersina toutes les pierres que l’on y trouve. L’intérieur de cette enceinte est pareillement exploité de tous cotés comme une vaste carrière de pierres, de colonnes et de marbres. D’innombrables excavations, à demi cachées par une végé¬ tation luxuriante d’arbustes sauvages, de chardons, de fleurs et de hautes herbes, arrêtent à chaque pas l’explorateur. Néanmoins on Slrabon, 1. XIV, p. O71.
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DESCRIPTION DE LA GAULEE.
distingue encore les traces d’un grand théâtre, dont les gradins ont tous disparu; quelques voûtes ont échappé jusqu’à présent à la destruction qui va bientôt sans doute les atteindre. Cet édifice était adossé à une colline du sommet de laquelle on embrasse du regard l'emplacement de la ville entière, son port et les campagnes voi¬ sines, jusqu’aux montagnes. Les vestiges de plusieurs autres monu¬ ments publics sont de même plus ou moins reconnaissables, no¬ tamment ceux d’un aqueduc, qui amenait à Pompéiopolis les eaux cl’un petit fleuve qui coule près de la ville. Mais ce qui attire tout d’abord et absorbe plus particulièrement l’attention ou, pour mieux dire, l’admiration, ce sont les restes d’un immense portique qui traversait cette cité dans toute sa largeur et aboutissait au port. Ce portique, espèce de longue avenue non couverte, se composait de nombreuses colonnes, dont les trois quarts ont disparu ou gisent renversées sur le sol, mais dont une cinquantaine sont encore de¬ bout. Elles sont en belles pierres calcaires et formées de cinq ou six gros tambours superposés que couronnent des chapiteaux corin¬ thiens; elles étaient, en outre, surmontées autrefois d’ornements divers, tels que vases et statues. Quelques-unes sont, vers le mi¬ lieu de leur fût, décorées de consoles engagées dans l’épaisseur d’un des tambours et destinées probablement à porter des sta¬ tuettes. Sur plusieurs aussi j’ai remarqué quelques fragments d’an¬ ciennes inscriptions grecques, malheureusement très mutilées. J’ai copié les caractères que j’ai pu entrevoir à travers les fourrés de myrtes qui enveloppent presque toutes ces colonnes et en rendent l’approche très difficile. Mais d m’aurait fallu beaucoup plus de temps que je n’en avais pour étudier sérieusement ces fragments et en prendre des copies et des estampages fidèles. A quatre heures, en eflet, je dus m’arracher en toute hâte à l’examen très sommaire que je venais de laire des ruines de Pompéiopolis, et regagner Mer- sina, le départ de l’Ilissus étant annoncé pour six heures au plus tard. Avant de perdre pour toujours de vue les débris du grand portique dont je viens de parler, je me retournai un instant afin de les considérer une dernière fois, car dans quelques années peut-
CHAPITRE I. — ALEX AND RETTE.
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être ils n’existeront plus, si l’on continue à agrandir Mersina et à démolir pièce à pièce, pour avoir des matériaux de construction, ce qui subsiste encore des monuments de Pompéiopolis. Après avoir extrait et emporté les pierres détaillé provenant de l’enceinte extérieure, des temples, de l’aqueduc et du théâtre de cette ville, on commence maintenant à attaquer les belles colonnes de cette magnifique avenue, en les sapant par la base. Une lois qu elles ont été projetées violemment à terre , comme de grands arbres déracinés , et que leurs tambours ont roulé pêle-mêle sur le sol avec leurs cha¬ piteaux brisés dans la chute, elles sont soit cassées et débitées en de simples lambeaux afin d’être plus facilement transportables, ou réduites en chaux dans des fours, triste destinée réservée à ces su¬ perbes colonnes, que pourraient envier nos plus opulentes cités.
ALEXANDRETTE.
Le 2 5 mai, à cinq heures du matin, nous débarquions à Alexan- drette. Cette ville est située au fond d’un vaste golfe qui porte son nom, et qui autrefois s’appelait I crcrixos xoXiros, cc golfe d’issus n, du nom de la ville ainsi désignée, dans les plaines de laquelle, l’an 333 avant Jésus-Christ, Alexandre gagna une grande et décisive victoire sur l’innombrable armée de Darius. Elle a succédé elle-même, mais, dit-on, sur un emplacement différent, à l’Alexandrie mentionnée par Strabon 1 avec les villes d’issus, de Rosus, de Myriandre, de Nicopolis et de Mopsueste, qui entouraient ce golfe. Dans l’anti¬ quité, comme le prouvent d’anciennes médailles, elle était quelque¬ fois surnommée ÀXs^avSpsict xclt Ïctœov , cr Alexandrie sur l’issus ri, soit parce qu elle n’était pas très éloignée du petit fleuve Tissus,
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soit parce qu elle était sur les bords du golfe de ce nom. Etienne de Byzance, pour la distinguer des autres villes qui se vantaient de devoir leur origine ou du moins leur dénomination au héros macé¬ donien, l’appelle ÀÀs£a vSpstcc KiXixitxs, cr Alexandrie de Cilicien.
L’épithète de Scabiosa lui est donnée dans l’Itinéraire d’Antonin, Strabon, I. XIV, p. G7G.
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DESCRIPTION DE EA GALILEE.
sans doute à cause des âpres montagnes qui la dominent, et celle de Minou' par les historiens latins des Croisades1, qui la distinguaient ainsi de la grande Alexandrie d’Egypte. Dès cette époque également, elle était déjà connue sous la forme diminutive de Alexandrela2, d’où son nom actuel de Alexandrette. Les Arabes la désignaient, comme ils le font encore maintenant, par celui de Iskanderoun. Plusieurs fois prise et recouvrée tour à tour par les Musulmans et les Chrétiens, puis tombée définitivement au pouvoir des Turcs, elle passe depuis très longtemps pour avoir un climat insalubre et elle est chaque année ravagée par les fièvres pendant l’été, à cause des marais qui l’avoisinent, les sources et les ruisseaux de la haute chaîne de l’Amanus n’ayant pas un écoulement suffisant vers la mer et rendant malsain par une surabondance d’eaux stagnantes le sol qui jadis, sans doute, leur devait sa fertilité. Néanmoins, comme elle sert actuellement de port à Antioche et à Alep, et qu elle est l’entrepôt naturel du commerce de toute l’Asie septentrionale, elle a toujours conservé une certaine importance comme comp¬ toir maritime. Sa population est de 8,000 habitants, Turcs, Arabes, Grecs schismatiques, Grecs unis, Juifs et Européens. La paroisse latine est desservie par deux Pères Carmes; de fondation récente, elle avoisine la maison de l’agent consulaire de France, qui est en même temps l’agent des Messageries maritimes.
Les bazars sont assez amplement fournis des choses indispen¬ sables à la vie; mais, dès le commencement du printemps, des nuées de mouches et de moustiques y tourbillonnent sans cesse, dans ceux surtout où l’on débite des denrées alimentaires. A cette époque aussi beaucoup de familles s’empressent, comme à Mersina, de chercher un refuge contre la fièvre dans plusieurs villages situés sur les hauteurs les plus rapprochées de la ville.
L’Ilissus, après avoir chargé i,5oo balles de coton et une quan¬ tité considérable de peaux de chèvres, leva l’ancre à huit heures du soir. La journée avait été brûlante. Vers le coucher du soleil
1 Albert d’Aix, I. Itt, c. xxvi. — Guillaume de Tyr, I. III, c. xxv. — 2 Marinus Sanutus, p. 2 hh.
CHANT HE I. — LATA Kl EH.
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un orage effroyable éclata soudain; de violents coups de tonnerre retentissaient sans cesse cl’écho en écho dans les anfractuosités de l’Amanus. Nous nous remîmes en route au milieu d’une pluie tor¬ rentielle et d’une mer très agitée.
LATAKIFJI.
Le 26 mai, nous jetions l’ancre, à six heures et demie du matin, dans la rade de Latakieh; car le port de cette ville est maintenant à moitié ensablé et très peu profond, et les bâtiments de quelque importance sont contraints de mouiller en dehors. 11 est formé par une digue dont les soubassements sont probablement antiques. L’entrée en était défendue par deux tours actuellement en ruine.
Celle du nord, beaucoup plus considérable que la seconde, ren¬ ferme à sa partie inférieure un grand nombre de fûts monolithes de colonnes, la plupart de granit gris, engagés horizontalement dans l’épaisseur de la construction. La digue laisse également apercevoir çà et là des fûts semblables, qui font ordinairement saillie et qui attestent une restauration musulmane ou accomplie par les Croisés.
Une fois débarqué, et après avoir traversé ce qu’on appelle la